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Discours de Sa Majesté le Roi - Académie miltaire de West Point , USA

25 avril 2018

Discours de Sa Majesté le Roi des Belges

à l’Académie militaire des Etats-Unis

West Point, mercredi, 25 avril 2018

 

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Général Gilland, Général Jebb, Membres de la Faculté, Chers cadets,

Mesdames et Messieurs,

Bonjour. En vous voyant tous réunis ici aujourd’hui, je me souviens avec émotion du temps que j’ai passé à l’Ecole Royale Militaire de Belgique. Et de la fierté que j’ai ressentie quand j’ai obtenu, il y a presque quarante ans, mes brevets de pilote de chasse et de para-commando. Avant d’étudier pendant deux ans aux Etats-Unis. Donc je sais ce que vous devez endurer - et à quel point cela vous fait grandir. Formé à la force terrestre, je peux pleinement souscrire à l’esprit de votre "Go Army, beat Navy !" ("Allons l’armée, battons la marine ! ")

Il y a presque cent ans, le matin du 24 octobre 1919, mon arrière-grand-père le roi Albert 1er était accueilli ici-même par le superintendant Douglas MacArthur. Et aux cadets réunis devant lui il exprimait sa gratitude et son admiration pour votre académie, qui avait si bien formé les libérateurs de l’Europe. Et il leur confiait qu’au cours des quatre années qu’avait duré la Première Guerre mondiale, il avait pu se rendre compte "de l’importance pour tout officier et tout soldat d’être convaincu de servir une noble et juste cause".

En août 1914, mon pays était neutre. Et pourtant il fût confronté à l’ultimatum de l’empereur allemand de passer par le territoire belge pour envahir la France. Le roi Albert et le gouvernement belge rejetèrent l’ultimatum. L’armée belge résista alors seule pendant plusieurs semaines, retardant l’invasion et permettant à l’armée française de se préparer. Après trois mois de résistance farouche en Belgique et en France, le front se stabilisa. Ce fut le début d’une longue période de guerre de tranchées dans les Flanders’ Fields – symbolisée en Belgique par le saillant d’Ypres.

Le courage avec lequel les Belges défendirent la cause de la neutralité, le sens du sacrifice dont ils firent preuve et la violence de la répression qu’ils durent subir – notamment au sein de la population civile – suscita un élan de générosité international formidable, en particulier aux Etats-Unis. L’entrée en guerre des Etats-Unis, en avril 1917, sera le début d’un tournant qui mènera à la capitulation allemande un an et demi plus tard. Plus d’un million de soldats américains furent impliqués dans la bataille de la forêt d’Argonne. Nous n’oublierons jamais ce chapitre de notre histoire commune, la solidarité du peuple américain et l’héroïsme de ses soldats qui vinrent se battre pour notre liberté.

A peine 25 ans plus tard, à la fin de 1944, d’autres ex-cadets de West Point étaient aux premiers rangs de la bataille des Ardennes, en Belgique, une des plus grandes batailles jamais menées par l’armée des Etats-Unis. Les noms de vos généraux, Eisenhower, Patton, Bradley, Devers, McAuliffe, restent dans toutes nos mémoires. Plus de 600.000 soldats américains prirent part à cette bataille décisive avant la victoire finale. Bastogne résista en particulier grâce à la détermination et au courage de soldats qui avaient été entrainés à West Point. Depuis lors la Belgique et le reste de l’Europe ont pu bénéficier de la plus longue période de paix et de liberté de toute leur histoire. Aujourd’hui au nom du peuple belge, je veux une fois encore exprimer notre gratitude à l’égard des Etats-Unis.

D’Ypres à Bastogne jusqu’à aujourd’hui, notre principe fondateur est la croyance en une noble cause. Tout au long de son histoire, la Belgique a été le théâtre de nombreuses batailles impitoyables. C’est sur son territoire que des empires ont combattu et que le totalitarisme a été défait. Mais sur cette terre rougie de sang, sur les cendres de la destruction, nous avons construit une paix durable. La Belgique héberge aujourd’hui le siège de l’OTAN et du SHAPE. Et Bruxelles, la capitale de la Belgique, est devenu la capitale de l’Europe. L’Union européenne est un projet visionnaire né de profondes blessures. Un projet titanesque et audacieux. Ensemble nous avons construit une alliance sans précédent de pays qui ont décidé d’unir leur futur en sacrifiant une partie de leur souveraineté.

Ce projet de paix, de solidarité et de prospérité est construit sur une réconciliation et un pardon entre des peuples qui se sont entre-déchirés dans le passé. Seule une telle réconciliation permet de pacifier la mémoire et de construire un avenir meilleur en tirant les leçons du passé. Une profonde réconciliation est la fondation d’une paix durable. Il en va de même entre les peuples comme entre les personnes : il faut se parler, s’écouter, comprendre les blessures des autres et les humiliations, faire les pas nécessaires en direction des autres. Faire mémoire est capital. La mémoire est, comme le disait Saint Augustin, " le présent du passé". Elle crée des liens profonds entre les nations, comme ceux entre les deux rives de l’Atlantique. La Belgique est fière d’être une terre de mémoire et de dialogue, une terre où s’est matérialisée la réconciliation et la coopération.

La Belgique est fière aussi d’accueillir l’OTAN et le SHAPE. Cet ancrage physique de l’Alliance en Belgique reflète celle qui existe entre les Etats-Unis et mon pays. La Belgique a combattu à de nombreuses reprises aux côtés des troupes américaines. De 1951 à 1955, le Corps de volontaires belges de Corée, les "bérets bruns", a participé à la guerre de Corée. Plus récemment, la Belgique a participé à des missions en Afghanistan et à la coalition contre Daesh en Irak et en Syrie. Mon pays a également pris ses responsabilités dans des opérations en Europe, il y a quelques années dans les Balkans et aujourd’hui en Méditerranée et dans les pays baltes, pour soutenir ses alliés. Le nouveau siège de l’OTAN, inauguré l’année dernière, est le lieu où nous formons les plans et décidons des actions à mener pour poursuivre un objectif commun de paix, de démocratie et de bien-être pour nos peuples. Mon pays offre à ses visiteurs étrangers – dont des milliers de militaires et civils américains – un environnement et une qualité de vie très appréciés. Allié loyal et fiable de l’OTAN, la Belgique est aussi convaincue de la nécessité de développer un pilier européen solide et intégré capable d’assumer une responsabilité plus grande en matière de défense.

Nous vivons aujourd’hui des temps fascinants qui ouvrent d’immenses nouvelles perspectives pour l’humanité. Mais nous ne pouvons nous laisser ni éblouir ni étourdir. Parce que les menaces d’aujourd’hui sont peut-être moins perceptibles que celles d’hier comme c’était le cas dans les tranchées en 14-18, mais elles ne sont pas absentes pour autant. Les nouvelles technologies et les développements dans le domaine de l’intelligence artificielle sont des vecteurs de progrès, mais rendent aussi possible la guerre hybride. Les nouveaux moyens de communication nous rapprochent les uns des autres, mais portent aussi les discours qui polarisent les opinions, fractionnent les alliances et attisent les haines. Nos démocraties sont sous pression. C’est en restant vigilants et en nous focalisant sur le bien commun, que nous pouvons saisir ces nouvelles opportunités tout en combattant les menaces qui en découlent.

Des deux côtés de l’Atlantique, des questions fondamentales sont posées. Les extrémismes augmentent dans de nombreuses parties du monde. Les attaques terroristes causent des souffrances infinies dans plusieurs régions, y compris en Europe. Des millions de personnes ont besoin d’assistance humanitaire mais le système humanitaire atteint ses limites. Comme vous le savez, des milliers de migrants continuent de risquer leur vie en traversant la Méditerranée dans l’espoir d’atteindre l’Europe. Ces problèmes nous rappellent qu’il n’y a pas d’alternative : il faut construire des ponts entre les peuples et les cultures. C’est la cause que nous devons servir.

La devise de votre prestigieuse académie reste aujourd’hui plus que jamais d’actualité : "Duty, Honor, Country" – devoir, honneur et patrie. Il y va de notre devoir et de notre honneur que de vouloir remplacer la division et la haine par la concorde et la sollicitude les uns pour les autres. C’est un des premiers devoirs que nous avons tous en tant qu’humains, que de combattre la haine et les humiliations.

Comme le disait le général MacArthur devant vos prédécesseurs il y a cinquante-six ans, il revient à d’autres que vous de débattre des sujets qui divisent. Vous êtes les défenseurs ultimes de nos valeurs et de la paix qui doit les garantir. Tout comme vos prédécesseurs, vous avez décidé de baser votre vie sur le sens du devoir et l’esprit de service. Votre choix est plus qu’une carrière. C’est une vocation. C’est le désir de faire ce en quoi vous pouvez donner le meilleur de vous-même. Comme j’ai eu l’opportunité de rendre hommage à vos prédécesseurs pour ce qu’ils ont fait pour mon pays, je veux aussi vous féliciter de vivre votre vocation et de continuer à défendre avec nous, européens, les valeurs dans lesquelles nous croyons.

Je suis heureux de partager ce moment avec vous aujourd’hui et vous souhaite, à chacun et à chacune, de profiter pleinement de votre formation pour devenir, à l’image de vos nombreux prédécesseurs, des amis et gardiens de la paix.